La ronde des glaciers (Groenland, 2006)

L’association de la mer et de la montagne, de l’eau et de la roche, nous a toujours fasciné. Mais jusqu’à présent, il nous manquait un troisième élément pour satisfaire notre curiosité de montagnard-kayakiste : la glace. Après un séjour en Colombie Britannique, nous avions tout naturellement songé à aller plus au nord, le long des cotes d’Alaska. C’était sans compter sur l’administration Bush et ses restrictions d’accès aux USA. Investir dans de nouveaux passeports biométriques alors que les nôtres venaient d’être renouvelés suffit à nous faire changer de destination. Alors pourquoi pas le Groenland.

Une proposition de vol sec à un prix avantageux efface toutes nos hésitations et précipite un peu notre décision. Du coup, nous ne serons que deux à partir, mais sur place, nous avons déjà pris contact avec un loueur de kayak, Jacky Simoun, un français qui vit au Groenland depuis plus de 10 ans.

LUNDI 10 JUILLET

Après 4 h de vol depuis Copenhague, nous arrivons à Narssassuaq. Avant d’atterrir, l’avion traverse une épaisse couche de nuages. Au sol, le plafond est bas, il pleut, et cela ne fait qu’en rajouter un peu à cette ambiance de bout du monde. Mis à part la piste et quelques bâtiments, il n’y a rien. Le plan de la ville se limite à quelques rectangles disséminés autour de la seule route qui se termine en pointillés à quelques km de là. L’auberge de jeunesse de Jacky Simoun est à une centaine de mètres de là, un peu excentrée et perdue au milieu d’une végétation rabougrie. Une navette est organisée pour nous y emmener. L’accueil y est agréable et le confort est total. A l’autre extrémité du village se trouve l’unique commerce, véritable petit supermarché, assez bien achalandé pour les produits courants mais dont les prix sont de deux à quatre fois ceux de la France. Cependant, le centre névralgique pour les touristes est le Blue Ice Café. Musée, documentation, poste Internet, et café sont réunis dans cette petite maison ou Jacky a son PC. Il nous aide à peaufiner notre projet et accueille avec plaisir le fromage et le saucisson amenés de France. Départ prévu le lendemain où un bateau nous emmènera, nous et les kayaks à Narssak pour éviter de parcourir le fjord en aller et retour et pouvoir aller plus loin. Le temps s’améliore et la pression remonte.

Le port de Narsarsuarq

MARDI 11 JUILLET

Le baromètre continue de remonter. Le ciel est encore couvert, mais il souffle un vent du sud-est rendant impossible toute sortie en mer. A défaut, nous grimpons sur les hauteurs du village en direction de Mellem Landet. Nous apercevons le glacier Kiagtut Sermiat au loin, mais le plafond, encore bas, limite la vue. Nous retournons ensuite aux nouvelles pour voir si la navette sera possible dans l’après midi. Notre départ est reporté au lendemain et nous allons traîner du coté du port ou le vent a poussé de gros icebergs. Premières photos et premier émerveillement face à la glace.

La petite baie de Narsaq

MERCREDI 12 JUILLET

Sous le soleil, Jacky vient nous chercher à 7h30. Il nous conduit au port pour embarquer sur un bateau rapide pour Narssaq. Nous croisons une équipe de glaciologues français qui nous annoncent qu’il y a beaucoup de glace cette année. Nous filons vers le sud dans l’Eriksfjord ou dérivent de nombreux icebergs, faisant quelques escales pour récupérer des passagers. C’est impressionnant. Hélas, plus nous avançons, plus le ciel vire au gris. Arrivés au port, après 1h30 de navigation, nous déchargeons bagages et kayaks, laissant le bateau partir vers d’autres navettes. Le port n’est pas à coté du centre du village, aussi nous chargeons tout et contournons la presqu’île pour accéder à une baie proche des commerces.

Le supermarché est bien achalandé et on trouve pour 75kr une carte plastifiée de la zone à l’échelle 1/250 000. Il y a aussi un peu de matériel de camping et du matériel de pêche. A la sortie du magasin, nous débarrassons les courses de tout emballage superflu, sous l’œil amusé des clients. Nous embarquons à 13 h 30 après avoir testé le sandwich crevettes, œuf tomate de la boulangerie, magasin que nous ne retrouverons dans aucun autre village. Il commence à pleuvoir. Malgré cela, nous sommes vraiment contents, le décor nous comble et nous zigzaguons entre d’énormes glaçons aux formes torturées. Au cap de Nummiut, nous décidons de traverser en direction de Niaquornaq.

Les premiers glaçons…

Bien qu’il fasse mauvais, le plafond reste haut et nous profitons de la vue sur les icebergs venant de l’Isafjord qui sont de plus en plus gros, de plus en plus denses. Nous gardons nos distances, surtout lorsque l’un d’eux se met à basculer. D’autres se brisent au loin dans un fracas inquiétant. La marée montante les pousse doucement vers le fond du fjord, mais bientôt, le ballet s’inverse sous l’effet d’une petite brise venant de l’est. Le cap de Niaqornaq domine la confluence de deux fjords, le Kangerluarsuk et le Sermilik. Sur ce promontoire, à la vue exceptionnelle, un village avait élu domicile. Il n’en reste que quelques ruines, des sentiers et un cimetière en triste état. Quelques moutons occupent ces vestiges.

Premier bivouac sur le cap de Niaqornaq

Nous plantons la tente à l’abri d’une ruine et alors qu’il se remet à pleuvoir, Patrick va tester son matériel de pêche. Un lieu et une morue se laissent prendre. Sandrine lève besogneusement les filets. Le repas de ce soir est assuré. Le baromètre est en chute libre, il pleut, mais il n’y a pas trop de vent. Entre deux rabasses, nous sortons voir le ballet fascinant des glaces…

JEUDI 13 JUILLET

La pluie a continué de tomber et le baromètre de descendre. Peu motivés pour repartir, nous visitons notre promontoire, et commençons à remonter le fjord. La ballade est de courte durée, car un km plus loin, la pente devient plus raide, empêchant tout passage. Nous faisons le plein d’eau dans un ruisseau et retournons au campement sous des cordes. Jeu de dés, lecture et aquarelle occuperont le reste du temps. En fin d’après midi, la pluie s’arrête, le baromètre piétine et nous tentons une sortie dans l’autre sens. Rencontre avec un lièvre arctique, un renard curieux et de nombreux bruants des neiges. Peut être que demain, il fera beau ?

Nous plantons la tente au milieu des ruines du village.

VENDREDI 14 JUILLET

Le baromètre a poursuivi sa descente infernale durant toute la nuit. Le vent s’est mis de la partie, mais s’est calmé au petit jour. Nous nous réveillons dans un brouillard épais arrosé par une petite bruine. La mer est calme, nous décidons de partir. Vu la visibilité, nous abandonnons l’idée de visiter le Kangerdluarssuk, comptant y arriver plus tard par un autre itinéraire. Nous descendons l’Isafjord afin de rentrer dans la baie voisine.

Dans l’Isafjord.

Peu à peu, les gros icebergs sont moins nombreux. Dans la petite passe de Qornoq, sans doute peu profonde, une petite barrière de glace discontinue s’est formée, n’attendant qu’un rayon de soleil pour se disloquer. En attendant, il ne fait guère chaud, et la pluie nous accompagne avec un vent glacial. Nous faisons une pause rapide pour manger le menu des jours de mauvais temps : purée rapidement faite grâce à nos deux thermos, soupe, café et sucreries. La purée locale est très bonne, il n’y a rien à rajouter.

La navigation est toujours aussi belle malgré le gris du ciel que vient égayer la blancheur des icebergs. Après 25 km, nous parvenons dans le fond du fjord. A gauche, un autre bras vient butter sur une langue de glace venant directement de l’Inlandsis qu’on devine au loin dans la brume. Sur la droite, un gros torrent occupe une large vallée bordée de montagnes et de falaises. Lui aussi provient de la calotte glacière. Nous choisissons un petit promontoire qui sera notre bivouac.

Arrivée à notre second lieu de bivouac

La vue est superbe, d’autant que quelques éclaircies apparaissent. Le baromètre remonte, le moral aussi. Patrick ramène deux poissons. Le premier, une morue, a dévoré la moitié de son leurre. Il le remet malgré tout à l’eau sans grande illusion, mais quelques minutes plus tard, son appât « cul de jatte » piège un lieu qui lui aussi finira à la casserole. Les poissons groenlandais sont soit affamés, ou alors un tantinet simple d’esprit…De son coté, Sandrine ramène un sac de moules qui agrémenteront l’apéro.

Au troisième jour, le soleil revient progressivement.

Ce soir, nous ne sommes pas vraiment seuls, car de l’autre coté du delta, quelques kayakistes sont venu planter leur tente.

SAMEDI 15 JUILLET

Première journée de beau temps, même si les premières heures débutent sous un plafond bas. Nous partons vers 7 h 30 laissant notre tente installée. Nous allons reconnaître à pied le glacier qui donne naissance au torrent. Hélas ce dernier n’est pas franchissable, et nous ne pourrons donc pas aller voir le fjord auquel nous avions renoncé deux jours plus tôt et qui s’ouvre juste derrière.

A défaut, nous remontons sur la rive gauche du glacier, en suivant des gradins escarpés. Nous faisons connaissance avec les premiers nuages de moucherons et de moustiques. Le décor est grandiose quoique austère. La végétation rabougrie a du mal à prendre le dessus sur cet univers minéral. Un escarpement trop vertical nous empêche d’aller à un sommet dominant le glacier, mais nous entrevoyons malgré tout déjà son immensité.

Premier contact avec l’Inlandsis

L’après midi, le ciel bleu s’est imposé et nous embarquons pour une petite ballade de reconnaissance du fjord et du glacier de Llordlit. C’est un chenal large de 700 à 800 m bordé de falaises abruptes qui plongent dans une eau laiteuse. Au fond il s’évase pour recevoir une cascade et deux chutes de glace provenant de l’inlandsis qu’on devine au-dessus. C’est très spectaculaire. En retournant au campement, Patrick tente de pécher avec un nouveau leurre, mais il revient bredouille, après avoir remis à l’eau une morue trop petite.

Vue sur le fjord et le bivouac, 300 m plus bas

DIMANCHE 16 JUILLET

Ciel brumeux, mais cela va sans doute se lever, le baromètre continue de monter. Nous plions le camp et embarquons à 7 h 30 vers l’ouest pour entrer dans le fjord d’Akugdlit. Comme ses voisins, il se termine sur un glacier qui plonge dans la mer. Après le glacier nous nous arrêtons pour manger dans un vallon accueillant, protégé du vent froid qui souffle de l’intérieur.

Le fjord d’Akugdlit

Auparavant, Patrick pêche deux poissons dont il lève les filets dans la foulée, et qui stockés dans un tupperware au fond de l’hiloire, se conserveront sans problème vu la température de l’eau.

En début d’après midi, nous entrons dans Manisuptunua, qui est sans doute le plus beau des trois fjords. Au milieu, trois îlots semblent plantés là pour surveiller le trafic pourtant très occasionnel. Derrière, nous nous trouvons en fait à la jonction de deux fjords qui convergent vers la calotte glacière. Nous laissons à droite l’accès au glacier et son décor dégarni pour nous installer sur une plage qui domine les deux fjords. Nous comptons rester là deux nuits. Le bivouac est superbe, mais l’orientation et la montagne toute proche font que nous sommes à l’ombre très tôt, sans oublier les moustiques qui, très entreprenants, nous font fuir sous la tente pour pouvoir manger tranquillement.

L’indispensable moustiquaire

<  Petit bricolage maison pour assembler deux pagaies et en faire une structure pour supporter la moustiquaire ou une toile en vue d’en faire un abri de fortune.

LUNDI 17 JUILLET

Nous nous réveillons dans un épais brouillard, mais nous sentons que le soleil est tout proche. Ce matin, notre objectif est d’aller visiter un étroit chenal qui mène à une lagune, et éventuellement de monter en direction de la glace. Avec le brouillard laissant juste passer quelques rayons du soleil, l’endroit est superbe. Plusieurs torrents viennent se déverser dans la mer, au milieu des blocs morainiques. Sur la droite, une vague trace nous inspire et après une heure de montée, nous parvenons au sommet d’une première montagne qui domine un chapelet de lacs colorés blottis au fond d’une vallée lunaire.

Le glacier, quant à lui, est beaucoup plus loin et nous n’y accéderons pas par là. Nous essayons un autre itinéraire pour redescendre guidés toujours par une trace qui nous fait éviter les falaises. C’est sans doute un passage utilisés par les rennes dont nous n’avons vu jusqu’à présent que des bois perdus çà et là. Retour au camp après avoir remis à l’eau deux morues trop petites. L’après midi, nous allons en direction de Naujat Sermiat, la cascade de glace la plus proche de notre campement. Un peu avant, nous trouvons un bon endroit pour débarquer afin d’accéder à la bordure du glacier. Celui ci, semble s’être retiré il y a peu de temps abandonnant une multitude de galets et de blocs à la stabilité aléatoire.

Du haut de la bosse ou nous arrivons, nous dominons la chute de glace, les crevasses et la bordure de l’inlandsis. Nous déambulons au milieu de blocs colorés et de dalles polies, éblouis par les lacs formés par l’eau de fonte et la glace à perte de vue. Nous avons du mal à quitter cet étonnant endroit et ce n’est que vers 18 h 30 que nous rejoignons notre campement. Les moustiques nous font bon accueil à notre arrivée. Peu importe, ce soir menu de fête : Sandrine prépare des beignets avec les poissons que je viens de pêcher.

La couleur claire de la roche témoigne de façon très visible du recul du glacier

MARDI 18 JUILLET

Colonie d’oiseaux dans le fjord Qaleragdlit

Ciel bas pour cette journée de liaison. Nous descendons le Quvnerssuaq à contre courant et avec le vent dans le nez. Le fjord est assez monotone et le temps gris n’arrange rien. Un renard peu farouche nous occupe un moment. A Nuuta, convergence avec le fjord Qaleragdlit Ima, nous hésitons sur la suite de notre périple. Le mauvais temps vers le large nous incite à revenir vers la calotte glacière ou il fait souvent meilleur. Nous ne le regretterons pas, car si ce nouveau chenal est assez long et qu’il faudra le faire dans les deux sens, après un petit cap, nous apercevons au fond un immense glacier. Nous nous arrêtons observer des colonies d’oiseaux avec leurs petits agglutinés sur les vires de falaises abruptes et après 8 km dans ce chenal nous parvenons à un élargissement où plusieurs glaciers convergent.

A l’approche du glacier, le grondement sourd des chutes de séracs devient de plus en plus impressionnant.
Nous gardons nos distances et cherchons plutôt un endroit pour le bivouac.

Nous sommes tout contents de replonger dans une forêt d’icebergs. D’énormes grondements, de véritables coups de tonnerre nous font hésiter à approcher. Nous repérons le campement d’une agence touristique et nous nous allons vers la cote opposée. Tout à coup, nous nous trouvons face à un immense troupeau de rennes qui s’éloigne doucement pour nous laisser la place.

Nous installons la tente sur un petit promontoire, ne sachant pas trop jusqu’ou les vagues crées par la chute du glacier peuvent monter. De notre perchoir, nous surplombons une plage de sable où une multitude de glaçons viennent s’échouer. Ceci étant, nous profitons de la fin de la journée pour grimper sur le sommet voisin espérant approcher du glacier. Deux heures plus tard, après un cheminement scabreux, nous sommes arrêtés par une gorge profonde. Malgré tout, la vue est superbe.

Un bivouac aux premières loges
Spectacle ininterrompu du glacier qui s’effondre dans la mer.

MERCREDI 19 JUILLET

Le ciel est plus clair, et nous plions le campement après une nuit ponctuée par les mugissements du glacier Nous entamons le tour de la première baie. Au second glacier, nous décidons de prendre de la hauteur comme à chaque fois que nous le pouvons. La langue de rocher qui sépare les deux glaciers est assez abrupte, mais cela ne nous impressionne pas. Nous trouvons une plage pour les kayaks et nous lançons dans une ascension scabreuse ; alternance de dalles inclinées et d’éboulis de granit à la stabilité incertaine.

De l’autre côté du fjord

Nous jalonnons l’itinéraire de cairns afin de retrouver notre chemin. Tant bien que mal nous parvenons au sommet dominant ainsi les trois langues de glace en une vue inoubliable. Il nous aura fallu 3h. Nous poursuivons ensuite notre navigation circulaire, doublant le troisième glacier, moins bruyant mais tout aussi majestueux. Finalement, plutôt que de commencer à remonter le fjord, nous nous arrêtons tôt pour pouvoir encore profiter de la vue sur les glaciers. Visite d’un jeune renne visiblement perdu et petite promenade dans la moraine.

JEUDI 20 JUILLET

Il a plu abondamment presque toute la nuit. Au petit jour, le ciel est couvert, mais le baromètre n’a pas varié d’un millibar. Nous chargeons les kayaks à la faveur d’une vague éclaircie, puis descendons le fjord poussés par un courant qui aurait du être défavorable. En deux bonnes heures, nous sommes au cap Nuk au sud de l’île de Nuata Hana. La traversée du fjord Ikerssuaq nous prend encore une heure, mais les conditions sont relativement bonnes. Nous essayons de trouver l’entrée d’un petit chenal qui au prix d’un petit portage doit nous permettre de rejoindre le fjord de Tunuasak.

Nous avons quelques doutes car le passage étroit n’est visible qu’au dernier moment. Nous nous engageons, happés par un violent courant qui nous dépose sans effort dans un lac fermé de toute part. C’est à son extrémité que se situe le portage. Plutôt que de décharger les kayaks, nous les tractons pleins sur l’herbe mouillée. Cela fonctionne assez bien et les deux petits lacs intermédiaires permettent d’économiser nos épaules. Vers 15 h, l’affaire est réglée et nous retrouvons l’eau libre après 500m de traversée. Nous arrivons dans des zones moins austères avec des pâturages pour les moutons plus ou moins en activité, et quelques petites maisons colorées. Le temps oscille toujours entre grisaille, bruine et quelques rares éclaircies. Nous sortons du chenal et trouvons un bon bivouac dans une petite crique à l’ouest. La pêche, entamée après le portage nous permet de sortir 7 poissons. Deux passeront à la casserole.

Face au bivouac, de gros glaçons défilent lentement
Cuisine à l’abri de la pluie et des moustiques

VENDREDI 21 JUILLET

Le baromètre est à la baisse, mais surprise, il fait beau. Nous en profitons pour faire le ménage et la toilette. Visite d’un petit renard surpris au moment ou il se régalait des déchets des poissons péchés la veille. Vers 9 h, au moment d’embarquer, l’iceberg situé juste en face de notre bivouac et haut de plus de 20 m émet un claquement sec. Un gros morceau de glace s’en détache ce qui provoque son déséquilibre. Le voici donc en train d’osciller dangereusement pour finalement se retourner dans un grondement inquiétant. Ce beau morceau de glace a perdu de son élégance et nous, nous sommes quittes pour une petite frayeur face a une éventuelle vague. En fait cela ne donne rien de bien méchant.

Un visiteur peu inquiet par notre présence

Vu la tendance météo en baisse, nous décidons de rallier Narsaq sans faire trop de détours. Nous contournons l’île de Qangua puis zigue-zaguons entre Atdliva et Atdlivap Tunula. Globalement, le paysage est plus bucolique que dans les fjords du nord. Les endroits de bivouac sont nombreux et les chapelets d’îles agrémentent la navigation. En se rapprochant du village, le soleil apparaît et nous retrouvons de nombreux glaçons provenant de l’Isafjord.

Nous parvenons au port vers 16h30. Au supermarché, nous refaisons le plein de vivres et comme en Norvège, nous nous laissons piéger par des bières sans alcool. En fait, il faut aller acheter les bières et les alcools fort à un petit comptoir après les caisses. Nous reprenons la mer vers 18 h, pour trouver un bivouac dès que possible, mais le vent s’est levé ainsi qu’une houle de travers qui rend assez pénible cette recherche tardive. Nous trouvons un bon coin après le cap.

Retour à Narsaq

SAMEDI 22 JUILLET

Nous traînons un peu, comme le temps qui tarde à se lever. Maintenant que nous allons remonter le fjord qui nous ramène à Narssasuaq, nous savons que nous aurons largement le temps de rentrer même si le temps se gâte. Nous embarquons vers 9h45, poussés par la marée montante et une petite brise d’ouest. Nous avançons à bonne allure en ayant à peine le temps de ramasser au passage quelques moules accrochées à la falaise. En 2 h 30, nous sommes à l’entrée de la baie de Sarfannguit. En fait la deuxième partie est barrée par un rapide qui vient d’un lac. Nous renonçons à y accéder peu motivés par le portage. Nous choisissons de nous arrêter là à coté d’une superbe cascade sur un replat dominant la baie. Un campement, sans doute permanent, est installé non loin de là, mais nous ne serons pas gênés, d’autant que la cascade fait beaucoup de bruit. Il fait de nouveau beau, et nous profitons de la fin de la journée pour faire de la lessive et notre toilette. Le campement voisin se repeuple. Ce sont des pêcheurs équipés de pied en cap comme sur le catalogue Manufrance.

Bivouac bucolique au pied d’une cascade

DIMANCHE 23 JUILLET

Ma cheville s’en souvient encore…
Nous avons décidé de monter sur les hauteurs pour voir si possible l’Isafjord et les glaciers qui l’alimentent, vu que nous n’avons pas pu y naviguer comme prévu au début de notre séjour. Le plafond est bas et il n’y a pas de vent, donc il y a des insectes. Pas un, deux ou trois, mais des nuées qui virevoltent autour de nous, affectionnant tout particulièrement les yeux, et tous les orifices découverts.

Une végétation rabougrie mais variée si on y regarde de prés.

Il nous faut déjà une heure pour aller au bout du lac, départ officiel du sentier mentionné sur la carte. A partir de là, le sens de l’itinéraire et une bonne vue sont indispensables. Ainsi, nous progressons tantôt dans des mousses spongieuses, tantôt dans des arbustes rabougris, en essayant de repérer les cairns qui sont censés indiquer l’itinéraire. Nous prenons un peu d’altitude sur une lande interminable, sillonnée de torrents infranchissables. Les moustiques sont toujours là et les moustiquaires de têtes bricolées en tulle de rideau sont un peu gênantes pour profiter du paysage, toujours aussi gris. A quel moment serons nous dans les nuages ?

La cabane refuge où nous pourrons nous mettre à l’abri des moustiques

Après 4h d’errements, nous y arrivons et tombons sur l’unique cabane refuge du plateau, comme quoi, nous sommes sur le bon chemin. C’est une sorte de grosse caisse bancale de 3m de coté, maintenue par des câbles. Nous nous y engouffrons pour échapper enfin aux insectes et cassons une petite croûte. Le temps semble se lever un peu, et nous décidons de poursuivre. C’est de nouveau interminable. Nous parvenons 1h plus tard à une première ligne de crête. Le temps se lève, mais le point de vue ne permet pas de voir le fjord. Nous continuons alors à monter vers la cote 676 m. Ça n’en finit pas, chaque bosse en cache une autre, sans oublier les lacs qu’il faut contourner. Sandrine commence à râler, prête à abandonner. Je ne réagis pas trop, de peur d’avaler un moustique.

Enfin au sommet ! La vue est superbe et nous oublions un peu cette interminable montée…

Enfin, vers 14h30, nous sommes au sommet, complètement cuits. La vue est exceptionnelle! Devant nous, tout est quasiment pris par les glaces et l’éclairage est féerique. Au loin, nous apercevons l’Inlandsis et quelques beaux sommets alpins. Patrick mitraille car nous savons que nous n’aurons sans doute pas beaucoup d’occasions de voir un tel spectacle. Nous ne regrettons pas d’être partis malgré le temps incertain. Hélas, il y a aussi le retour, et nous ne pouvons pas rester trop longtemps. Nous repartons pour un cheminement tout aussi hasardeux vu que nous essayons un chemin plus direct et nous nous retrouvons dans une variante encore plus longue par le fond de la vallée. La plante des pieds commence à sérieusement chauffer et la pluie nous rattrape bientôt. Il nous faudra 4 h 15 pour retrouver la tente.

LUNDI 24 JUILLET

Réveil 7 h 30, après 11 h de sommeil. Nous plions le campement sous la grisaille. Vers 9 h 30, juste au moment de partir un fort vent de sud ouest se met à souffler. Le baromètre ne donne aucune indication particulière. Le courant est inverse, et l’association des deux rend la mer très agitée. Nous nous arrêtons au cap Karrat pour attendre de meilleures conditions car nous désirons traverser le fjord. Nous patientons en cherchant de jolis cailloux, jouons aux dés et finalement mangeons. Le vent se calme après l’inversion de la marée, et la houle est moins hachée. Nous traversons sans trop de problèmes et commençons la remontée en direction d’Itilleq. Patrick pèche deux morues. Un peu plus loin, les conditions se dégradent un peu plus. Le vent redouble, et nous commençons à serrer les fesses car il n’y a pas d’abri en vue. Cela devient de plus en plus sportif et de grosses vagues nous poussent dans des surfs que nous avons de la peine à maîtriser. Nous sommes près l’un de l’autre car c’est plus sécurisant mais parfois cela nous gêne pour manœuvrer. Au bout d’une heure trente de ce régime, nous trouvons refuge dans une minuscule crique. C’est petit mais agréable, avec un ruisseau non loin pour prendre de l’eau. Pour nous réconforter, Sandrine nous prépare un menu spécial morue : crue, macérée dans de l’huile d’olive et du citron pour accompagner le pastis ; cuite, dans une sauce à l’ail pour spaghettis. Pour terminer les traditionnels carrés de chocolat…

Nous analysons la navigation et reconnaissons que nous aurions du, face à la météo moyenne changer de programme et suivre l’autre rive du fjord, moins spectaculaire, mais offrant plus d’abris. Le moral ne fait pas tout. De plus, ce fjord, ouvert vers la pleine mer canalise les vents du large.

MARDI 25 JUILLET

Le vent est tombé, la mer d’huile et les premiers rayons du soleil commencent à pointer leur nez. Nous remontons sur Itillec un peu à contre courant, mais cela n’est pas gênant. A l’approche du lieu dit, nous découvrons deux ou trois fermes, entourée de terrains cultivés d’un vert intense, d’autres plus sombres semblent plantés de seigle. Nous accostons sur une plage vers l’embarcadère.

Changement de décor. Igaliku est un petit village à l’habitat très dispersé.

Le soleil est généreux et nous quittons les kayaks en tenue légère pour rejoindre le village d’Igaliku situé à quelques km de là, au fond d’un fjord parallèle. Un chemin carrossable traverse les cultures puis arrive au dessus de la baie ou s’étend le village. Les environs sont très verdoyants et des paysans font les foins. Nous descendons vers le port ou se trouve l’épicerie. Nous nous laissons tenter par quelques vivres frais et faisons la rencontre avec un groenlandais francophone et kayakiste occasionnel. Ensuite après un pique nique au-dessus du port, nous allons téléphoner à Jacky pour caler notre retour et donner des nouvelles. Cela est possible à l’espace services, local où on peut aussi se doucher et faire des lessives. C’est un ancien guide GNGL qui assure la permanence et il nous raconte un voyage en France de 6 mois qui lui a été offert par cette agence pour le remercier de son aide. C’est aussi un passionné de minéralogie et il nous explique ses pérégrinations.

Igaliku centre !

Nous récupérons nos embarcations et filons ensuite plus au Nord. Les glaçons se font de plus en plus nombreux pour notre plus grande joie au fur et à mesure que nous approchons de Qoroq. La lumière est splendide et nous prenons le temps de faire quelques photos. Nous nous arrêtons sur la dernière moraine avant d’entrer véritablement dans le fjord. C’est ici que Blue Ice a choisi d’installer sur une butte un camps permanent, mais il n’y a personne. Ce n’est pas par hasard, car le spectacle est éblouissant. Nous profitons du ballet des icebergs qui migrent au rythme des marées.

La petite cabane de Blue Ice. Vue imprenable sur les glaçons.

MERCREDI 26 JUILLET

Il fait toujours beau, mais Jacky nous a prévenus d’un possible coup de vent d’est. Nous hésitons sur le programme et comme toujours dans ce genre de dilemme, il faut prendre de la hauteur. Nous montons donc sur les pentes abruptes de la montagne voisine. Cela nous permet de voir que même si le fjord paraît rempli de glace, il y a largement de la place pour naviguer. La mer est calme alors nous nous décidons à partir. Nous plions le camp, mangeons rapidement et rejoignons le débouché de l’imposante vallée de Qorqup en moins de 2 h.

Nous parvenons au débouché de la vallée de Qorqup, au milieu des glaçons qui vont et viennent au rythme des marées et du vent.

La rivière coule sur un lit de graviers, large de près d’un km ; et comme nous sommes à marée basse, des glaçons de toutes tailles ont été déposés sur la grève. Au-dessus, de beaux sommets encore enneigés dominent et encadrent cet endroit perdu. Le fond du fjord en direction du glacier paraît comme toujours au niveau de la mer bien encombré. Nous revenons donc en suivant l’autre rive. Il faut un peu chercher notre passage dans les glaces, poussant les petits évitant les gros. Nous trouvons un bivouac à la sortie du fjord, en direction de Narssasuaq.

Au retour, il faut louvoyer entre les blocs de glace qui s’accumulent progressivement au fond du fjord.

JEUDI 27 JUILLET

Le beau temps semble s’être installé sur la région. Le mercure grimpe en flèche et affiche 20° quand il n’y a pas de vent. Nous mettons le cap sur Qassiarssuk de l’autre coté de la baie, tournant définitivement le dos aux glaces. De loin, ceux ci prennent des allures de building sous l’effet trompeur des reflets dans l’eau. La cote rocheuse avant le village est intéressante. Les petites falaises de couleurs variées oscillent du rouge au jaune en passant par le vert de gris et l’ocre.

Qassiarsuk est la ville d’Erik le Rouge et un monument en sa mémoire domine le port. Pour le reste, le village est assez traditionnel avec son habitat dispersé, ses cultures soignées, son KNI et son port qui se résume à un simple ponton. Nous trouvons un petit coin de bivouac à l’écart des maisons. Laissant les kayaks, nous prenons le chemin qui traverse la péninsule pour aller à Tasiusaq. Sept km séparent les deux villages. Nous nous contenterons des quatre premiers, histoire de dominer l’autre coté. De toute évidence, la ballade sur les amonts du Equalorutsit fjord mériterait le détour, mais il faut compter plusieurs jours de marche.

Qassiarssuk, le village d’Erik le Rouge…

VENDREDI 28 JUILLET

Grand beau temps, pas un nuage. C’est notre dernier jour de navigation. Nous remontons le fjord. Le paysage devient plus uniforme, et moins abrupte. Sur chaque rive, il y a des pâturages et des prés jalonnés de fermes. A l’aide de pelleteuses, les fermiers transforment cette terre aride, parsemée de blocs de granits en des prairies fertiles. Le travail semble titanesque, mais les résultats sont visibles. On trouve même une petite pinède d’arbres hauts de 5 à 10 m. Du jamais vu depuis que nous naviguons ici. Au fond de la baie, une dernière exploitation est implantée sur le bord du delta d’une grosse rivière aux eaux laiteuses. Nous faisons demi tour, manquant d’énergie pour aller marcher, il faut dire que les points de vue intéressant sont loins. Pour nos derniers coups de pagaie, le vent nous offre une ultime résistance. Il faudra donc un peu plus de 2h30 pour rejoindre le port de Narsassuaq. Nous téléphonons à Blue Ice dès que nous avons déchargé et rangé les kayaks et on vient nous chercher. Il y a beaucoup de monde à l’auberge et nous plantons la tente à coté pour profiter des commodités et rester loin du bruit. Nous profitons des douches pour rincer notre matériel et du soleil pour le faire sécher.

Au fond de la baie…

SAMEDI 29 JUILLET

Il nous reste à découvrir les alentours de Narssassuaq. Nous voulons aller profiter du point de vue au sommet du Mellem Landet. Debout 6h, en piste vers 7h45. Nous connaissons le début du sentier, mais, bien vite, celui ci se perd dans les landes vallonnées ou les repères ne sont pas toujours évidents. Notre premier objectif est un petit sommet à l’Est du point culminant. Il nous faut 4h pour y arriver et les moustiques sont de nouveau là. Cela joue beaucoup sur le moral et pour lutter contre eux nous avons le choix entre les moustiquaires de têtes en rideaux ou d’agiter le même bout de tissu en permanence devant le visage Soit on ne voit rien, soit on risque la tendinite ou le coquard lorsqu’on se prend dans l’œil la boucle de serrage de la dite moustiquaire.

Toujours plus haut, pour voir l’inlandsis.
La vue depuis le Mellem Landet

Dans tout les cas, la fatigue venant, Sandrine ronchonne un peu. Comme à chaque fois le premier sommet n’a pas assez de vue et il faut faire une immense boucle dans les éboulis pour arriver au belvédère adéquat. La encore la vue ramène la bonne humeur. Nous dominons non seulement le glacier de Qoorok mais aussi nous sommes en face d’une multitude de sommets jaillissant sur la bordure méridionale de l’inlandsis. Nous craquons malgré la fatigue et montons encore un peu vers le sommet principal, ce qui permet d’avoir plus de vue vers l’ouest et le nord. Pour descendre il nous faut autant de temps qu’à l’aller. Le soir, nous discutons avec Miguel un jeune guide de kayak qui travaille pour un tour opérator Espagnol.

DIMANCHE 30 JUILLET

Dernier jour…Le temps est splendide, et c’est avec un peu de nostalgie que nous partons voir le glacier en amont de Narssasuak. C’est une superbe ballade qui nous emmène sur une butte dominant la fin du glacier. Nous croisons plusieurs groupes de touristes pas toujours très aguerris. Retour en début d’après midi pour plier bagage, confirmer les réservations d’hôtel à Copenhague et cuire le pain du soir Au Blue Ice café, nous feuilletons les brochures publicitaires, mai aussi plusieurs ouvrages sur des périples au nord et à l’est du Groenland. C’est a peu près sur, nous reviendrons…

Le glacier, aujourd’hui menacé.

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